“Seule la poésie des choses soulève notre vie – la vraie poésie, celle qui, touchant le cœur, le fait pleurer de joie, d’émotion, de ravissement… Nous avons besoin de beauté pour vivre, et Dieu le sait. Vous connaissez le mot paradoxal et osé de Dostoïevski. Volontiers, en cette nuit, je vous le redonne : « L’humanité peut vivre sans la science, elle peut même vivre sans pain, mais sans la beauté, elle ne pourra plus vivre, car il n’y aurait plus rien à faire au monde. Tout le secret est là. » C’est la raison pour laquelle, cette nuit, Dieu notre Père fait ouvrir les yeux de son Fils pour la première fois dans un contexte, certes, pitoyable mais aussi magnifiquement féerique sous bien des aspects. La voute étoilée de Bethléem avec cet astre qui surplombe déjà l’étable où dort l’Enfant-Dieu, l’intimité de la Sainte Famille protégée par la chaleur des animaux, sans parler de ce silence impressionnant qui devait envelopper de contemplation la pauvre mangeoire. Imaginez que Jésus fut né en plein jour, tranquillement à Nazareth, dans la chambre bleue préparée par ses parents : adieu les nuits d’étoiles, adieu la paille dorée, adieu l’âpre pauvreté du Fils de Dieu qui, en cette nuit bénie, détient la grâce d’émouvoir tous les hommes de la terre, faisant briller de lumière les yeux des plus petits et couler sur les joues usées des vieillards des larmes de tendresse.
Dieu est Amour ! L’Évangile le répète sur chacune de ses pages et parce qu’Il est Amour, Il est Beauté et j’ajoute volontiers ce soir : Poésie. Voyez, je crois vraiment que si la nuit de Noël existe telle qu’elle est, orchestrée et décorée par la Très Sainte Trinité, vécue en pleine nature au chant des anges et des bergers, c’est tout simplement pour tenter de restaurer en nous l’enfant que, peut-être, nous ne sommes plus. S’il en était ainsi, si nous étions devenus de pauvres adultes au regard dur, incapables de nous émerveiller, ce serait le moment de nous reprendre et de comprendre enfin – alors que la crèche s’ouvre devant nous – que Dieu seul peut embellir notre vie et plus encore la réchauffer, si elle avait pris froid à force de vivre au ras des pâquerettes dans un monde sans horizon d’éternité où la sagesse du Christ a de plus en plus de mal à se faire une place. Et puis, si Jésus est venu vivre sur la terre, s’Il a pris ce visage d’enfant, s’Il a fait ce long voyage qui, de la gloire, le met sur la paille, c’est aussi pour que nous comprenions que sans la présence de Dieu, notre vie devient froide, glacée comme ces hivers rudes et implacables qui frappent quelques régions du monde, semblant ne jamais laisser place aux autres saisons.
Ainsi va le monde, dans la froidure quand il n’a pas de but et pas d’issue. Regardez-le chez nous, notre monde, regardez-le foncer droit dans la nuit : nuit de l’égoïsme, nuit de la solitude, nuit de la déprime, nuit de l’angoisse. Et ne me dites pas que j’exagère ! Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Si l’on se coupe de la source de vie, si l’on s’éloigne de la crèche où Dieu nous montre concrètement les valeurs qu’Il veut que nous vivions, nous allons nous perdre. C’est en ce lieu, centre cosmique de la beauté, que Dieu nous enseigne la valeur suprême de l’amour, mais aussi de la simplicité, du courage, du don de soi et de la nécessité aussi d’assumer une certaine pauvreté lorsqu’elle est notre lot, pauvreté qui nous libère de cette envie effrénée d’avoir toujours plus.
En restant proche de la Sainte Famille, nous avons tout à y gagner, car le monde dans lequel nous vivons, ne nous offre qu’un bonheur fait d’argent, de bien-être, de prétendu plaisir, de confort, mais tout ça, même si on le possède, ça ne va pas très loin, ça ne comble pas ! Je ne vous apprends rien, n’est-ce pas ? En vous disant cela, je pense à ce mot, presque tragique, de l’ambassadeur et écrivain Paul Morand, membre de l’Académie Française. Au sommet de sa carrière, il s’était écrié : « J’ai eu beaucoup de plaisir et presque jamais de joies ! » C’est tragique : être tout en haut de l’affiche, apparemment ne manquer de rien, ni de talent, ni d’argent, ni de notoriété, et ne pas connaître la joie. La joie, c’est Dieu qui la donne ! Si nous restons uniquement sur le système terre, nous savons bien qu’il y a au bout du voyage, quand ce n’est pas en cours de route, notre sœur la souffrance ; et de toute façon, toujours en bout de parcours, cette satanée mort qui nous obsède et qui gâche tout. Eh bien, c’est aussi pour nous délivrer de cette peur que l’Enfant-Jésus débarque du Ciel chez nous ce soir pour nous dire à chacun : « Je viens de loin, je viens de l’autre monde pour te dire à l’oreille que je t’aime et que mon Père promet l’éternité aux enfants des hommes qui lui font confiance. »
Cet enfant qui vient de naître, c’est le créateur de l’univers, le concepteur du bonheur, le sauveur de toute l’humanité, celui qui nous apprend à ordonner notre existence à partir de priorités simples que Dieu a définies une bonne fois pour toutes et qui travaillent toutes à notre bonheur. Car Dieu veut voir ses enfants heureux dès ici-bas, pas seulement dans le Ciel de l’éternité, non, ici, tous les jours. Et pour être heureux selon Dieu, vous savez, au fond, il faut peu de choses. En premier lieu, il faut être relié à Lui. Qu’on se le dise : Dieu n’est pas un danger pour l’homme, Il n’est pas une invention moyenâgeuse qui nous empêcherait de vivre, brimant notre liberté comme le monde voudrait nous le faire croire en nous suppliant de nous affranchir au plus vite de Sa présence dominatrice, non ! Dieu est tout simplement un père, un bon père, patient, extrêmement patient avec les hommes qui, bien que comblés de mille choses, ne sont pas toujours reconnaissants. Nous venons de Dieu, nous existons parce que Dieu existe, nous recevons tout de Lui à commencer par la potentialité de respirer. Depuis la venue de Dieu sur la terre, nous savons qu’il y a plus grand que l’homme, et que cet être que nous appelons Dieu, c’est Lui et Lui seul qui tient la vie des hommes entre Ses mains. Oui, viscéralement, nous dépendons du Père Céleste, et dès que nous voulons faire cavalier seul en nous éloignant de Lui, alors qu’Il nous aime avec une densité qu’aucun être sur la terre ne peut rejoindre, notre vie commence à s’abîmer et à se perdre au sens le plus fort de ce terme, et nous perdons la joie. Croire en Dieu, mais quelle merveille ! On est fou de ne pas se jeter dans ses bras ! Croire en Jésus, L’aimer, Lui parler, Le prier et vivre avec Lui en lui faisant confiance sur chaque jour qui passe, c’est le minimum vital sans lequel le bonheur terrestre est compromis !
Voilà le mode d’emploi du bonheur : Jésus dans le cœur et l’amour dans les mains !
Bon et Saint Noël !
Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine