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Deux vœux pour 2015

Retrouvons le sens de nos limites

Au début de l’année 2014, trois jeunes gens publient un court mais remarquable essai « Nos limites » (dont le produit de la vente est reversé à l’association « Espérance banlieues » qui crée des écoles en plein cœur des cités sensibles, adaptées aux défis éducatifs posés par ces territoires).
Ils dressent une analyse lucide et décapante des excès et des manques de notre époque, appelant de leurs vœux une écologie intégrale. Face à la technique sans âme et au marché sans loi, cette voie offre l’espérance d’un monde à la mesure de l’homme, fondé sur l’entraide et le don, fruits de nos limites.
Un vigoureux appel à « vivre plus simplement pour que chacun puisse simplement vivre » !  Extraits :

« Quelle orientation et quelles significations donnerons-nous à l’aventure humaine à l’heure où l’individualisme de masse se développe au sein même du « village planétaire » ? Au moment où chacun semble de plus en plus nu et désarmé face aux nouveaux prédateurs du pouvoir et des marchés financiers, vivre une simplicité discrète nous semble le meilleur remède à la sophistication contemporaine qui, loin de combler nos désirs et répondre à nos aspirations, altère notre rapport au monde, aux autres, et finalement à nous-mêmes.

Qui ne voit que le consumérisme sans limites, non content d’abîmer irrémédiablement notre planète, produit plus de misère que de joie ? La globalisation effrénée de toute chose, à force de repousser les limites et de déraciner les foyers identitaires à grands coups d’ouverture de frontières et de délocalisations, semble foncer droit dans le mur, en rendant pour tous le monde moins habitable.

Loin de rapprocher les hommes, on détruit des cultures vivrières pour imposer des agricultures d’exportation, on étire les circuits d’exportation aux extrêmes limites du monde, on multiplie les intermédiaires entre producteurs et consommateurs. Par mépris du terroir, toujours suspect de conservatisme, on piétine le local et on risque bien, à terme, de n’avoir justement plus rien à conserver.

La mise en concurrence des travailleurs à l’échelle du monde obéit d’abord à la dure loi du productivisme, lui-même régi par des impératifs de rentabilité maximale, qui ravagent autant la société que la nature. Les migrants économiques, légaux ou clandestins, sont les premières victimes de cette économie sans frontières et de cette précarisation accélérée du monde, car la misère qui leur fait miroiter un lointain Eldorado les arrache à leurs foyers, à leurs familles.

Aussi est-il grand temps, selon le mot d’Ivan Illich, de « bâtir une société où l’acte personnel retrouve une valeur plus grande que la fabrication des choses et la manipulation des êtres ».
La conscience de notre finitude humaine en est la condition. Notre survie sur une terre habitable pour tous dépend moins du progrès technique que de notre faculté à trouver un rapport sain et durable avec notre environnement et avec notre propre nature humaine.

Notre finitude implique notre dépendance : nous avons besoin les uns des autres parce que nous sommes des êtres vulnérables et incomplets. Continuerons-nous longtemps à vouloir contrôler toujours plus la vie, de la conception à la mort, à la soumettre à nos rêves de perfection, ou saurons-nous accepter cette vulnérabilité intrinsèque qui est moins l’obstacle que la condition de notre dignité ?

Quelques pistes : parler de personne à personne, plutôt que de groupe à groupe, préférer la qualité à la quantité, agir ici et maintenant, à notre place, avant de se projeter dans un futur hypothétique et lointain. Moins, mais mieux : seul moyen d’empêcher que « notre vie se gaspille en détail ». Nous libérer peu à peu du superflu et prendre soin de ce qui est fragile, de ceux qui sont fragiles ».

Vivons comme il convient

Qu’est-ce que révèle cette incapacité à reconnaître nos limites sinon une profonde angoisse d’exister, tant visible dans la tentation actuelle du transhumanisme, ou dans nos sociétés « d’abondance sans plénitude », sans aspiration supérieure, où l’argent est devenu le roi ? L’actualité nous montre, hélas, combien les limites ont explosé quand il s’agit de vendre n’importe quoi, n’importe où, à n’importe qui, au mépris de toute considération de santé, physique, morale, écologique ou spirituelle.

Si notre monde va dans l’impasse, il y a peut-être moyen de travailler à un changement d’attitude qui engendre le moins de malheurs possible, et qui peut – c’est notre espérance – renverser le courant dévastateur. « Ce qui nous appartient, c’est de vivre le présent comme il convient », conseille le philosophe mathématicien Olivier Rey. Et je crois que cela sonne juste !

Ce souci du bien agir, ici et maintenant, est une force qui anime bien des gens d’horizons très divers, dans la mouvance écologique et décroissante par exemple. Je rencontre de plus en plus d’objecteurs de conscience qui entrent en désertion, par leur refus affirmé de collaborer directement ou indirectement à l’entreprise d’anéantissement et de déshumanisation de notre milieu vital, même par de tous petits actes de leur vie quotidienne. Je m’en réjouis, car il y a dans ces attitudes, sans même le savoir le plus souvent, comme un prélude, un désir de plénitude évangélique.

Dans « Une vie pour aimer », Stan Rougier dit que « la plupart des hommes vivent à la surface d’eux-mêmes, parce qu’ils sont privés d’un climat d’amour qui est plus nécessaire que le pain ». Cela fait écho à cette parole prononcée un jour par un évêque africain : « l’homme a besoin de pain pour vivre, mais il a besoin de la Parole de Dieu pour vouloir vivre, pour ne pas entrer dans la désespérance ».
Oui, Dieu aime chacun de nous d’un amour sans limite, un amour libérateur qui nous fait « passer de nos ténèbres à son admirable lumière » (lettre de Pierre 2,4-9). Et c’est en Jésus son Fils venu parmi nous qu’il nous l’a montré de manière très concrète. Christ est venu en notre humanité pour nous faire communier à sa vie divine ! C’est cela, la vraie joie de Noël !

Si « la vie est née d’un débordement de la tendresse divine, et que l’amour en est le début et le terme », alors « vivre comme il convient » c’est aimer en tout temps en puisant à cet Amour pour le rendre visible et concret là où il est vital qu’il y ait de l’amour pour réchauffer les cœurs et guérir les âmes. C’est-à-dire partout ! Mais notre vie témoigne-t-elle suffisamment de cette prodigieuse libération et des merveilles de cet Amour ?

En ce début d’année, j’aurai une prière particulière pour nos frères d’Irak et de Syrie… pour les enfants livrés à la violence des guerres… pour les femmes livrées à la violence et à l’humiliation des hommes… pour celles et ceux qui sont blessés dans leurs liens d’amour ou d’amitié… pour tous ceux enfin qui cherchent un chemin pour mieux vivre, une espérance dans leur nuit, un cœur qui les comprenne…

Je laisse le dernier mot à mon ami Stan Rougier, un homme de cœur : « dans l’éternité, quelle sera notre joie de découvrir combien nous aurons été, les uns pour les autres, messagers de Dieu, ambassadeurs de Sa tendresse ! C’est sur la seule balance de l’amour que sera pesée notre vie ».

M.V.


Dans la joie de Noël

Aujourd’hui, dans notre monde le Verbe est né,
pour parler du Père aux hommes qu’il a tant aimés.
Et le ciel nous apprend le grand mystère,

Gloire à Dieu, et paix sur terre, Alleluia !

Aujourd’hui, dans nos ténèbres, le Christ a lui,
Pour ouvrir les yeux des hommes qui vont dans la nuit.
L’univers est baigné de sa lumière,

Gloire à Dieu, et paix sur terre, Alleluia !

Aujourd’hui dans notre monde a paru la Vie,
Pour changer le cœur des hommes qui sont endurcis,
Et l’amour est plus fort que nos misères,

Gloire à Dieu, et paix sur terre, Alleluia !

Aujourd’hui, dans notre chair est entré Jésus,
Pour unir en lui les hommes qui l’ont attendu,
Et Marie, à genoux, l’offre à son Père,

Gloire à Dieu, et paix sur terre, Alleluia !


Vivre, à quoi ça sert ?

« Vivre, à quoi ça sert » est une méditation simple, profonde et pleine de fraîcheur sur le sens de la vie, écrite par une femme remarquable, bien connue de nos contemporains pour son action auprès des chiffonniers du Caire, en Égypte.

Si j’avais à conseiller à un ado un livre qui puisse l’aider sur son chemin, je choisirais certainement ce livre-testament, dernier ouvrage de sœur Emmanuelle qui nous a quittés en octobre 2008, quasi centenaire. Pour autant, ce livre fait du bien quel que soit notre âge ! Emmanuelle sait nous rejoindre dans ce qui fait les tracas mais aussi les joies de nos vies : elle témoigne d’un parcours qui n’a rien d’un conte de fées. Mais elle a su parvenir à l’essentiel, et la justesse de ses propos ne peut que toucher… Voici la synthèse que je vous en livre. Bonne rentrée !

A propos de trois ordres

L’inquiétude du sens est nécessaire et bénéfique. D’âge en âge, elle a taraudé l’humanité. Le problème, c’est le vide, l’absence contemporaine de moyens pour répondre à cette inquiétude. Mes contemporains sont poursuivis par le non sens, la vie semble à leurs yeux une succession chaotique d’instants et d’événements. J’enrage de ce qu’exploitant ce manque, ceux qui ont pignon sur rue aillent contre le sens. Dans les univers politiques, médiatiques, et parfois religieux, nous sommes dans le règne du sensationnel, le nez collé aux événements.

Le propre de l’homme, dans sa grandeur et sa misère, est de chercher, de ne pas se satisfaire de son état ou de convictions prêtes-à-porter. Mais nous sommes aujourd’hui fascinés par la raison, au point de ne pouvoir nous libérer de son idéalisation qui n’ouvre aucun horizon. Il n’y a plus aucune vision d’ensemble qui donne à chaque chose sa place dans un tout unifié. Nous sommes sans cesse ballottés d’une question à l’autre.

Ensuite, nous vivons sous le règne de l’affect qui empêche l’épanouissement du cœur, dans une suite de sentiments passagers, transitoires, contradictoires. Nous sommes ballottés d’une émotion à l’autre.

Enfin, le divertissement est devenu roi : dans un tourbillon vertigineux, il offre une succession de plaisirs ou de « devoirs à honorer » sans cesse pour échapper au vide. On se noie dans la fête, la consommation, le travail, l’activisme, le nez dans le guidon, sans que jamais une orientation, un sens enfin, soit contemplé et visé.

Qu’ai-je donc à proposer, moi, une vieille religieuse de 95 ans ? Oh, rien que j’ai inventé toute seule. J’ai eu la chance de rencontrer très tôt un penseur de génie : Blaise Pascal, et ses Pensées sont devenues mon livre de chevet. Pascal nous montre la distinction et l’articulation de trois ordres : matière, esprit et amour, qui sont pour l’homme trois façons de se situer par rapport au monde, à Dieu et à lui-même. Le sens de la vie ne se trouve ni dans l’ordre de la matière, ni dans celui de l’esprit, tous deux par ailleurs considérables et nécessaires, mais seulement dans le troisième : l’ordre du cœur.

Grandeur et misère

C’est en l’homme que s’opère une sorte de déchirure entre l’aspiration à une grandeur démesurée, et la confrontation à son extrême petitesse. C’est étonnant en effet comme l’homme, capable de si grands et de si nobles sentiments, peut dans le même temps montrer de la bassesse, voire de la jouissance dans l’avilissement. Même sans aller jusque-là, il est dans le propre de l’homme d’être habité à la fois par la vision d’espaces infinis et par le constat de ses limites. Je suis émue de tant de cris que je reçois de ceux qui souffrent du formidable écart entre ce qu’ils sont et ce qu’ils voudraient être.

Le néant, c’est l’absence de terrain où puisse s’investir la soif d’être, de vivre et d’être soi. Quand l’élan de la vie tourne à vide, alors on tente de vivre seulement pour vivre, on reflue dans le seul ordre matériel (le look, les possessions, la situation sociale). Mais certains font plus tôt que d’autres l’expérience qu’on ne peut s’accrocher à de telles choses en cette vie, qui ne sont que des vanités éphémères. Non, la sortie du néant ne se trouve pas dans l’ordre de la matière.

Grandeur et misère de l’aventure dans l’ordre de l’esprit. Elle semble porteuse de promesses infinies, mais débouche sur le constat de l’impuissance. Le Dieu vivant qui se révèle à l’homme vivant ne se trouve ni à force de raisonnement ni au bout d’une lorgnette. Croyant ou non croyant, il faut se méfier du pur intellectualisme qui nous évade du réel. Il faut se méfier de l’impérialisme de la raison. Livrée à sa seule puissance, la raison se croit toute puissante, capable de tout embrasser et de tout maîtriser. Ce qui m’a sauvée, c’est de me heurter aux limites de la raison, et finalement d’y consentir.

La faiblesse essentielle, elle est en nous, on ne peut pas en sortir en l’on n’en sortira jamais, jusqu’à la mort. Loin d’être supprimée par l’esprit et son ordre, elle y acquiert au contraire une conscience plus douloureuse encore que dans l’ordre de la matière. Écartelé entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, crucifié entre la puissance, la noblesse de sa raison et l’expérience de ses limites, affronté au vide en lui-même et à la béance inéluctable de la tombe, l’homme est alors tenté de fuir, de fuir en avant, dans le divertissement, l’agitation, mais hors de soi.

Fuir pour combler le vide ?

Car l’homme cherche un complément d’être devant l’expérience du vide. Mais la solution immédiate qui se présente – une recherche éperdue hors de soi – ne fait que nous distraire, comme le dit Pascal. Les sollicitations extérieures sont aujourd’hui légion : radio, télévision, ordinateur, smartphone, jeux vidéo, véhicules, voyages… que l’on passera parfois sa vie à rembourser. Tout est appât dévorateur de nos forces physiques, psychiques et financières. Livrés à cette ronde de l’agitation permanente, de l’accumulation, de la répétition, quelque chose en nous n’est jamais assouvi et crie sans cesse : encore, encore, j’en veux encore !
Nous assistons à une conspiration universelle contre le silence, le repos, l’intériorité. Or, c’est précisément dans le seul lieu de l’intériorité, dans la contemplation d’étoiles qui ne sont pas filantes, que se construit la personnalité.

Il existe trois libidos en nous : la pulsion de sentir, la pulsion de savoir, la pulsion de dominer. Chacune ouvre une perspective séduisante de fuite, mais qui ne comble jamais. La maturation de notre rapport au look, au paraître, au posséder (objets ou personnes) demande bien des années ! Celle du savoir est plus difficile : on enfante un monde intérieur qui apaise l’angoisse et nous fait croire qu’on atteindra un jour la Vérité. C’est consolateur mais trompeur, et finalement écrasant.
Enfin, ultime divertissement, on cherche à « se faire roi », on cherche la domination et le pouvoir, et à être (re)connu. Nous avons tous besoin d’être maître de quelque chose. Même la bonté peut être pervertie pour servir au pouvoir, par exemple dans l’action humanitaire, au départ si souvent généreuse.

Ces tentatives de combler le vide intérieur par la vanité de l’extérieur (apparences, possessions, pouvoirs) est en nous tous. Nous n’en sortons jamais complètement ici-bas. Chercher à jouir de la vie sans limites, c’est souffrir du même coup des limites de la jouissance. Plus elle a régalé les sens et l’imagination, plus elle laisse le goût amer de tout ce qui excite pour s’évanouir trop tôt. Ce vide laissé n’est jamais comblé.

Chercher Dieu au fond de son cœur

Pourtant, l’expérience de cette béance et de la vanité de nos entreprises est un bienfait ! Elle nous conduit souvent à un moment fondateur dans nos vies, à l’exemple des saints dont seule la piété populaire en a faits de héros invincibles ! A un moment donné, la projection imaginaire de soi-même et de sa réussite s’écroule. Il faut souhaiter à chaque être humain ce décapage, si douloureux qu’il soit. Place est faite, alors, pour la vérité.

« Vraiment tu es un Dieu caché ! » dit Pascal. C’est bien l’expérience que nous faisons chaque jour : Dieu est absent de ce monde qui tourne mal, ce monde violent et injuste. Et pourtant, il y a bien une présence de Dieu dans le monde, mais ce n’est pas sur le mode de l’intervention. Cette présence est au cœur de l’homme, de sa conscience et de sa volonté, de son inconscient et de son âme, pour le porter vers le bien, qu’il le sache ou non. Dieu n’agit dans le monde que dans et par l’homme.
Pour autant, nous ne sommes pas des robots. Nous sommes libres, ou plutôt nous possédons des germes de liberté. Dieu caché est la condition de notre liberté. Sinon, Dieu serait évident, et la foi ne serait plus un acte libre ! Or, la foi est une révélation d’un tout autre ordre que l’évidence… « C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison ». Ce cœur dont parle Pascal est le centre de notre être : l’union de la chair et de la raison, de la sensibilité et de la volonté. Le plus intime de nous-même.

Seul l’infini pourra me combler

« La foi est au dessus de la raison, et non pas contre ». Autrement dit, croire n’implique en aucune manière de perdre la raison, ou de s’opposer à elle. Ce que veut dire Pascal, c’est que la raison peut fort bien décrire son impuissance et l’expliquer, face à une expérience véritablement humaine qui lui échappe et dépasse ses moyens et son ordre.

Car dans et par la foi, mon cœur expérimente que seul l’infini peut le combler, et combler ce vide, cette béance. Mais cet infini n’a aucun rapport avec les immenses perspectives de l’esprit : il est de l’ordre de l’amour. Dieu n’est pas seulement un Dieu caché, il est d’abord un Dieu d’amour ! Alors, j’ai décidé de parier sur le Dieu d’Israël, le Dieu de Jésus-Christ. « Dieu d’amour et de consolation qui remplit l’âme et le cœur ». Alors, je fus rajeunie : je retrouvai mon cœur d’enfant simple comme une source. « Si vous ne devenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume » (Évangile, Matthieu 18-3).

C’est dans cet état d’esprit que, à soixante deux ans, je partis au bidonville du Caire un beau jour d’automne pour épouser la condition d’hommes, de femmes et d’enfants spoliés, dépouillés de tout apanage de la matière et de l’esprit. J’allais vivre enfin l’esprit d’enfance avec le regard simple et transparent qui ne se retourne pas vers soi, mais s’offre ingénument, avec confiance.

Vanité, néant que les possessions de la matière. Elles m’avaient ébloui. Vanité même que les acquisitions de la raison raisonnante : elles avaient été ma fierté ! Et j’ai constaté que l’étau du vide s’est desserré chaque fois que ma vie a pris le sens du service et du partage.

Le mouvement de l’amour

Toutes nos amours, même celles qui semblent les plus gratuites, sont entachées d’une sorte de possessivité. L’affection et le désir pour quelqu’un portent en eux une volonté de possession. Quelles sont les relations affectives qui, ne serait-ce qu’un moment, ne nous portent pas à vouloir pour l’autre, à sa place ? Mais c’est la vie de couple qui parfois n’est pas satisfaisante. Les manières d’aimer ce l’homme et de la femme sont différentes, or chacun attend d’être aimé à sa manière, et chacun souhaite que l’autre réponde à ses propres attentes. On a du mal à sortir du cercle de l’ego : beaucoup d’amours ne sont ainsi que des mouvements de soi à soi.

Pour autant, la charité est-elle le mouvement inverse ? Serait-elle à chercher dans l’oubli de soi, la négation de ses propres attentes, de ses désirs ? On me parle de sacrifice : ça me fait rigoler ! Quand on aime, il n’y a pas de sacrifice, mais une dilatation. Le sacrifice n’est encore qu’une idole de soi.

De toutes manières, peut-on complètement séparer l’amour de l’affection et du plaisir ? Sûrement pas ! Peut-on les confondre ? Non plus ! Avec Pascal, réaffirmons qu’il ne faut ni mépriser ni surévaluer les ordres de la matière et de l’esprit, de la chair et de la pensée, comme le dit le vieil adage : « je possède, mais ne suis pas possédé ».

Aussi, l’amour véritable est aux antipodes d’un repli, d’une peur du charnel, de l’affectif, de l’intellectuel, qui seraient considérés comme des appâts trompeurs. C’est précisément en appréciant à son juste prix la richesse de la matière et de l’esprit que l’on s’apprête à mieux comprendre quel bon fantastique les sépare du moindre mouvement d’amour.

Le troisième ordre n’est pas opposé aux deux autres : il les dépasse et les assume. Il est au-dessus, non pas contre. Le mouvement de l’amour ne descend jamais : il monte et nous emporte dans des sphères infiniment plus élevées. D’où ce soupir de bonheur qui traverse notre existence à certains moments, où nous n’y comprenons rien, car le ciel paraît se déchirer. Nous nous trouvons alors saisis par un monde inconnu, mystérieux, au-dessus et allégé des contingences habituelles. Ce n’est pas une question de croyance religieuse. Chacune de nos expériences véritables de l’amour ne vient-elle pas relativiser tout le reste ?

Notre nature cherche son épanouissement. Elle contient en elle-même la soif de posséder, de jouir, de se faire mousser, comme elle contient aussi l’élan du don, du service, de la compassion. Tout cela est inextricable (parabole du bon grain et de l’ivraie). L’idéal, me semble-t-il, est de travailler dans le même mouvement à son propre bonheur et à celui des autres, en essayant d’oublier un peu nos propres contradictions (St Paul). Essaie de t’accepter, Emmanuelle, humaine, pétrie de grandeur et de misère. Reçois-toi telle que tu es, tout bonnement, en tirant la meilleure part de tes défauts comme de tes qualités. Et yalla, en avant pour le service !

Le mystère de l’amour, chemin vers Dieu

Vous cherchez un sens à votre vie ? Demandez-vous qui et comment il vous est possible d’aimer. Aimer est un élan qui nous porte au-dessus de nous-mêmes et en sûreté. L’irruption de l’amour dans une existence est comme le feu qui jaillit soudain dans l’âtre : tout prend relief à sa lumière. L’amour est le mystère de notre existence.

L’amour est mystère : il n’est ni ici, ni là. Il est mystère parce qu’il est mouvement. Et il est mouvement parce qu’il est relation. La relation, ça ne se laisse pas saisir, ni maîtriser, ni posséder. La relation ne tient ni à toi, ni à moi, mais au mystère entre nous. Elle est la réciprocité du mouvement de chacun qui sort de soi vers l’autre (très belle image trinitaire).

Dès lors, il y a amours et amours. Certaines personnes entrent dans la manière de l’autre, mais ce n’est pas simple. Entre nous, humains, il y a quelque chose qui, à la base, nous fait différents les uns des autres. C’est particulièrement clair entre hommes et femmes, mais cela vaut pour toute relation. Aimer, c’est apprendre à écouter la différence de l’autre. L’amour est une écoute qui retentit en soi. Alors s’ouvre la réception du don de l’autre, de sa manière autre d’aimer. Nous serons toujours différents, mais quand tu sais écouter l’autre différent de toi, tu fais entrer en toi une vision qui n’est pas tienne.
Qu’est-ce que l’autre sent, attend, que je peux lui donner ? L’amour c’est ce complément d’être que je donne, mais tel que l’autre le désire, et non pas comme je l’imagine. C’est ce complément d’être que, réciproquement l’autre me donne, mais à sa façon. Ceux qui s’aiment sont dans le mystère d’une relation vécue différemment, dans la différence.

A ce mystère, je donne un nom et un visage : « Dieu est amour ». Cette affirmation de l’Écriture (1 Jean, 4-8) fait partie de mon expérience. Ce n’est pas une théorie, ni un sentiment. Dans ma relation vivante au Dieu vivant, je contemple sa manière d’aimer. Pour entrer en relation avec nous, le Verbe s’est fait chair. Dieu, dans sa passion d’amour pour l’homme, en vient à aimer l’homme à la manière de l’homme, à répondre à ses attentes d’homme. En nous aimant, il ne nous sort pas de notre condition humaine, c’est lui qui vient à elle. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 13, 34). C’est lorsque nous aimons à la manière de Dieu que nous aimons vraiment, que nous connaissons le troisième ordre de la charité.

En aimant, en vivant du moindre mouvement d’amour, nous perdons-nous, devenons-nous moins humains ? Tout au contraire, notre existence trouve son sens. Dans le mystère de la relation, nous naissons à nous-mêmes en sortant de nous-mêmes. L’homme n’est jamais autant humain que lorsqu’il est image de Dieu. Mais gardons-nous cependant de prétendre vraiment aimer, d’aller jusqu’au bout de l’amour ! L’abîme qui sépare l’homme misérable du Dieu infini est soudain franchi dans chaque mouvement d’amour. « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous » (1 Jean 4, 12).

Ce souffle qui passe libère nos ailes intérieures, les ailes du cœur, engluées dans les jouissances sensibles, matérielles, intellectuelles. Quelque chose en nous se déploie, nous atteignons notre envergure véritable. Le don d’un verre d’eau, le moindre mouvement de charité, surpassent l’amoncellement des richesses, la vastitude de l’univers, l’ampleur des systèmes scientifiques, philosophiques et théologiques. Devant cette lumière humble et cachée, les splendeurs de nos richesses pâlissent et sont ramenées à leur réalité : de petits lampions, rien que de petits lampions.

Partout je vois des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes qui, d’une façon ou d’une autre, décident de consacrer de leur temps et de leur énergie à ceux qu’ils veulent aimer, à leur manière. La survie de l’humanité et de chacun d’entre nous en dépend. Regardons donc le côté éclairé de la planète. Partout brillent des étincelles d’amour. Et le monde, alors, n’est plus si obscur ni couvert de ténèbres. Il en est transfiguré. L’ordre de la charité ouvre la voie du cœur, chemin de bonheur et de paix.

L’écume ou l’éternité ?

C’est quelque chose, tout de même, que cette formidable énergie que nous déployons pour tenter de remédier au vide, à l’insensé, au manque, en nous livrant corps et âme au flux et au reflux du plaisir, dans une fuite perpétuelle hors de nous-mêmes. C’est terrible parce que c’est vain et voué à l’échec.
Telle l’écume, le plaisir disparaît sitôt que son objet est saisi. Ainsi, l’insatisfaction creuse en nous, encore et toujours plus profond, son sillage d’amertume. Tout nous échappe, et nous-mêmes avec, car nous allons mourir. Nous sommes plongés dans un néant : tout fuit, et nous avec.

J’ai donc cherché ce qui ne fuit pas. Si tout fuit, il y a pourtant quelque chose qui ne fuit pas. On découvre le non-mortel après s’être dépouillé de l’illusoire, de la vanité, de l’imaginaire. Ce peut être Dieu, certes, pour le croyant, mais pour tous, c’est faire naître du vivant en répondant de ses propres forces vives à l’appel d’un autre manque. Tends l’oreille : autour de toi, qui attend ce que personne d’autre que toi ne peut offrir ? Lorsqu’un manque répond à un autre manque, soudain, c’est une création nouvelle : quelque chose naît au monde.

Si dans nos actes et dans nos relations, il y a toujours une part d’intérêt et de possessivité, il y réside aussi une part de gratuité. Et c’est là, dans cette marche vers l’autre, dans l’amitié authentique, que se dévoile le mystère de ce qui ne passe pas, le mystère de notre propre éternité.

Dieu est amour : Lui, l’éternel, donne gratuitement. Et « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique » (Jean 3, 16). Oui, Dieu se donne, il est l’ami de l’homme. C’est pourquoi tout passe et fuit, hormis l’amour.

Dans nos vies humaines, tous les petits actes d’amitié ou d’amour authentiquement vécus sont autant de minuscules joyaux, forgés au feu de l’épreuve et du dépouillement. Au moment où nous quitterons cette terre, une partie de nous-mêmes disparaîtra, mais cette multitude de joyaux aura façonné notre figure d’éternité. Certaines personnes ont déjà quelque chose de ce visage d’éternité : leur regard est un reflet d’amour. Leur attention se porte naturellement vers ceux qu’elles rencontrent. Ces gens-là sont des témoins de l’éternité. En les rencontrant, nous sentons que ce qui est véritablement humain en nous ne peut pas mourir.

Au terme de ma réflexion, je pense que nous ne sommes pas tant écrasés entre l’infiniment grand et l’infiniment petit que contraints de mesurer, dans nos vies, l’abîme sans issue de nos tentatives de fuite et l’océan du mystère de l’amour !

De mon point de vue, la justesse consiste à éviter deux fausses pistes. Ne soyons ni fascinés par le clinquant des choses, des possessions, des gens et de nous-mêmes… ni désespérés par leur néant. S’il n’est pas possible de marcher en leur milieu, il est possible de dépasser les dilemme, de s’élever infiniment au-dessus. C’est la troisième voie que nous montre Blaise Pascal : c’est en accrochant notre char à l’étoile de l’amour, à la voie du cœur, qu’il nous permettra de nous envoler et de nous arracher d’autant au néant. C’est ce troisième ordre du cœur qui donne à nos vies leur sens, leur poids d’éternité.

Entre le plaisir et le bonheur, il faut choisir. Entre l’écume et l’éternité, il faut choisir. Entre la voracité et l’amitié, il faut choisir. Mais attention ! Il ne s’agit pas d’un choix radical et définitif, mais plutôt d’une direction. De quel côté pencherons-nous ? Le retour sur soi ne disparaît jamais : on n’arrive jamais, ici-bas, au bout de l’amour. Encore et encore, il faut le choisir à nouveau.

Qu’importe ! Une fois qu’on a goûté à la libération du moindre mouvement d’amour, la route n’est plus si pénible. Une fois soulevés par les ailes du cœur, notre faiblesse n’est plus si lourde à porter. Qu’est-ce que tout ce fatras au regard de l’éternité ? Toutes nos misères ne sont rien au regard de la valeur authentique de nos existences : le mystère de l’amour.


Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné

Cher lecteur, j’aimerai te parler aujourd’hui du livre de Jean Ziegler “Destruction massive : géopolitique de la faim” (Ed. Seuil, 2011), que j’ai déjà mentionné sur ce blog.

Un ouvrage très intéressant, qui remue profondément, et qui invite surtout à une plus grande lucidité sur les agissements de nos pays, de nos entreprises les plus puissantes… avant de nous interroger nous-mêmes sur notre position dans tout ce gâchis, et ce que nous cautionnons implicitement en vivant dans des pays dits développés, sans trop se poser de questions au sujet de ce qui alimente ce développement, et à qui cela nuit !

J’ai beau en apprendre chaque jour sur les injustices de notre monde, et malgré l’espérance qui habite le chrétien que j’essaie d’être, j’avoue que certaines révélations me bouleversent toujours et me questionnent en profondeur. En ce temps de carême 2014, je me dois de publier ce texte, parce qu’il me semble qu’il ne faut pas lâcher le beau combat contre la faim, et avoir le courage d’en accepter les causes et leur dénonciation. Attention, la sévérité de certains passages est à mettre en rapport avec les terribles fléaux subis par des populations entières ! Il y a de saintes colères… car l’exploitation et l’esclavage continuent sur terre, malgré les chartes des droits humains et le formidable travail d’un grand nombre d’associations dont l’action est parfois très risquée…

Je remercie au passage la “fraternité des chrétiens indignés”, et Serge Lellouche en particulier, à qui l’on doit cette synthèse, pour son remarquable travail entrepris depuis les débuts de la grande crise de 2008. Oui, il nous faut des veilleurs, et des éveilleurs ! Mais il me semble qu’en parallèle de la prière, du jeûne et des offrandes qui pour beaucoup de femmes et d’hommes de cette terre (et même d’enfants !) sont une manifestation humble et cachée du don du coeur et de la sollicitude à l’égard des plus démunis, nous devrons de plus en plus affronter l’arrogance des puissants et leur mode de nuisance qui détruisent – non pas d’abord la planète, même si c’est vrai – mais d’abord la vie de dizaines de millions de frères humains… et beaucoup plus demain, si nous ne faisons pas assez aujourd’hui pour éviter cela. La première priorité est d’en prendre conscience et d’informer autour de nous. Ensuite, il ne faut jamais capituler… car malgré tout, il y a toujours des moyens de s’opposer aux autoroutes du mal, en commençant par faire TRES attention à ce que nous achetons, et se demander à qui cela profite, ou à qui cela nuit.

La synthèse de Serge Lellouche étant un peu longue, je me suis permis d’en faire un résumé. A lire ici.

N’oubliez-pas : n’achetez pas ou plus d’agro-carburants ! Vous savez à présent pourquoi.

M.V.


2014 en toute simplicité

Je suis convaincu que chacun d’entre nous est porteur de questions et d’attentes fondamentales dont les réponses et la satisfaction nous seront données si nous revenons à plus de simplicité.

Le monde est devenu trop compliqué, trop exigeant. Et nous aussi. Nous nous sommes habitués à vouloir toujours plus, sans même nous demander pourquoi, oubliant trop souvent la misère et la grande pauvreté qui touchent deux milliards d’êtres humains.

Même la foi a souvent été présentée ou comprise comme compliquée, alors que l’Évangile est destiné à tous, en commençant par les cœurs simples et accueillants, que Jésus appelle « pauvres en esprit ». Il est bon de se le rappeler, à l’heure où le Pape François veut nous ramener à l’essentiel. Et je me dis qu’en écoutant ce Pape qui a la « jeunesse de la sainteté », beaucoup, assoiffés de (re)connaître le visage de Dieu vont (re)trouver un chemin de vie, un parfum de simplicité, qui conduisent à l’expérience de la joie, au sein même des épreuves de ce temps. Ce temps qui est appelé à renaître !

Car, le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la Parole de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme à faire le bien ne palpite plus. Même les croyants courent ce risque, certain et permanent. Beaucoup y succombent et se transforment en personnes vexées, mécontentes, sans vie évangélique.

Cet Évangile est une invitation lancée par Dieu pour nous rendre pleinement heureux, pas superficiellement. La foi qu’il suscite n’est pas d’abord un système de valeurs, de convictions, un programme pré-établi ou une morale : c’est une rencontre avec le Christ et une espérance. Dieu est une Personne qui libère, qui donne à la vie un nouvel horizon, et par là son orientation décisive. La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus et se laissent sauver par lui de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement, du manque d’amour.

Avec Lui, la joie naît et renaît toujours. Quand quelqu’un fait un petit pas vers Lui, il découvre que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts. C’est le moment pour dire : « Seigneur, je me suis laissé tromper, abîmer, de mille manières j’ai fui ton amour. J’ai besoin de toi, accepte-moi entre tes bras rédempteurs ». Cela nous fait tant de bien de revenir à lui quand nous nous sommes perdus ! Dieu ne se fatigue jamais de pardonner, c’est nous qui nous fatiguons de demander sa miséricorde.

Nous parviendrons à être pleinement humains quand nous serons plus qu’humains, quand nous permettrons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes, jusqu’à notre être le plus vrai. Ce qui est d’abord une expérience personnelle doit s’étendre au monde entier, qui ne trouvera certainement la paix que lorsqu’il rencontrera la Miséricorde de Dieu. Mais, nous gaspillons trop souvent notre vie, notre énergie, nos ressources, à courir après l’inutile, le factice, l’éphémère. Alors, si nous devenons plus simples, le monde le deviendra aussi, à terme !

Certes, tout ne dépend pas de nous, et une grande part de la marche de la planète échappe à notre pouvoir de décision. Nous n’avons prise que sur un petit nombre de choses et un petit bout d’espace. Nous ne côtoyons et ne pouvons aimer réellement durant notre vie qu’un petit nombre de gens. Cet amour n’est pas coté sur les marchés financiers, mais c’est lui qui soutient le monde, et il ne s’écroulera pas ! Et cela est suffisant pour changer beaucoup de choses : à chacun de discerner ce qu’il doit modifier en lui et autour de lui.

Alors n’oublions pas d’aimer, de partager, davantage, jusqu’au bout, tout simplement, comme le Christ nous l’a montré. Recherchons la justice et le vrai bien de tous : le reste nous sera donné par surcroît… Courage !

M.V.


Désirer Dieu

Désirer la lumière

Qui que tu sois, quels que soient ton état de vie et l’estime que tu peux porter sur toi-même ou sur les autres, tu portes en toi un désir immense de connaître Dieu ! Et ce désir, parfois, souvent, est enfoui sous des monceaux de choses qui se sont empilées peu à peu durant ta vie, et qui l’ont caché, étouffé, au point que tu ne sais peut-être même plus qu’il est là, présent au plus intime de ton être.
 
La société consumériste hyper marchandisée n’a pas aidé à y voir clair. Bien au contraire. Une vision ultralibérale des rapports humains s’est imposée depuis quelques décennies, faisant tout pour asservir l’homme aux marchés, à l’argent, à la futilité. Et elle a presque totalement réussi à faire disparaître de l’horizon des vies humaines la raison la plus profonde qui fait que nous vivons ! Le drame de notre monde actuel est qu’il n’est quasiment plus que technique, économique et financier. Et en plus, ça ne marche pas ! L’humanité ainsi formatée a gaspillé la presque totalité de ses forces, de sa santé et des ressources limitées de la Terre dans des choses inutiles, au lieu de les mettre au service du vrai bien de tous et d’une vraie sagesse de vie.
De fait, tout est construit en ce sens, et produit une immense injustice, de plus en plus révoltante ! Car pour que cela profite à un tout petit nombre (de plus en plus puissant et arrogant), il faut asservir le plus grand nombre, les privant progressivement du faux bonheur matériel promis, de la santé, du temps de vivre autrement que dans l’urgence, et faisant en sorte que l’horizon spirituel vital soit caché, combattu ou banni !
 
De plus, dans ce monde où Dieu a été chassé, la compétition est devenue reine. Mais une mauvaise reine : entraînant l’homme dans une lutte pour la survie, comme dans l’univers purement animal, alors que l’avenir est à la coopération (j’en reparlerai bientôt). Ce libéralisme sauvage rend le petit nombre des forts plus forts, l’immensité des faibles plus faibles et le flot croissant des exclus plus exclus. “Un tel système économique a en son centre une idole qui s’appelle l’argent”. Et le pape François ajoute dans son récent discours à Cagliari que le manque d’un vrai travail pour tous (et la perte de dignité qui l’accompagne souvent) est la “conséquence d’un choix mondial”, d’un système économique dans lequel “c’est l’argent qui commande”. Que de souffrances ! Que de désespérances ! Que de gâchis et d’erreurs accumulés en si peu de temps ! Un monde dominé par la compétition peut-il encore se soucier du bien commun ?
 
Le matérialisme déçoit, tôt ou tard : les êtres et les sociétés ! Et la compétition exclusive mène tôt ou tard à l’anarchie et à l’écroulement de tout système. Ne le vois-tu pas déjà ?
“On ne peut servir deux maîtres : Dieu et l’argent”, enseignait Jésus… Ainsi, “nous assistons à un désarroi, à une solitude qui ne cesse de grandir ; nous voyons se répandre un sentiment d’égarement par rapport à la vie, au sens de la vie, une incapacité à se donner une « maison » comme repère, et du mal à tisser des liens profonds” (Pape François).
 
Mais en face de l’homme, capable du bien comme du mal, il y a toujours l’appel de Dieu à renaître, à être relevé, consolé, à reprendre confiance pour cheminer sur de bonnes bases. Un appel qui s’adresse à chaque être humain, mais aussi de plus en plus, je pense, aux structures, aux organisations, aux systèmes qui ont acquis des pouvoirs vertigineux ou aliénants.
Ce Dieu que j’invoque n’est pas le “Dieu des catholiques”, ou le “Dieu des chrétiens”, ou le “Dieu des musulmans”, ou le “Dieu des juifs”, ou le “Dieu des bouddhistes”… Comme s’ils étaient plusieurs…! Dieu est Dieu ! Et je crois en Dieu, l’Unique, plein d’amour et de miséricorde, et dont Jésus-Christ est l’Incarnation : maître et berger qui traverse l’histoire des hommes pour attirer tout à Lui et faire cheminer chaque être humain vers l’heureuse maison du Père ! Chacun à son rythme et selon ses charismes… s’il le désire vraiment !
 
Oui, je crois qu’il y a au fond de ton coeur la présence discrète et humble de ce Dieu qui s’est fait serviteur de l’homme ! Tu es fait pour Lui : il est la plénitude de tout ce que tu peux rêver de plus beau ! Et rien ni personne d’autre que Lui ne viendra combler parfaitement ton âme. Il t’a créé ainsi, et c’est beau ! Je te souhaite de comprendre cela…
Certes, cette présence intime n’est jamais une évidence, même pour un croyant de longue date. Je pourrai dire qu’elle est parfois fulgurante et brève, bien souvent discrète et cachée. Mais elle est bien là, et la folie de notre monde est de nous en proposer des ersatz qui, tant que nous y croyons et que les choses semblent bien aller, même superficiellement la plupart du temps, procurent l’impression qu’il s’agit de la vraie vie, mais ne nous nourrissent jamais substantiellement.
 
Puis vient un temps où il nous faut passer du désir à la volonté, à l’engagement. Car plus fort que le désir qui attire, l’amour suppose ma liberté, ce qu’on ne peut comprendre en vérité que si l’on imagine son contraire ! Pour cela, il faut que je choisisse de poser un acte de foi, libre, vrai, humble et libérateur, m’ouvrant grand “la porte étroite” dont parle la parabole évangélique. Etroite, non pas du côté de Dieu (elle est tellement ouverte !), mais du mien, qui a la capacité de s’enfermer… ou de s’ouvrir !
 
Oui, l’annonce évangélique est simple, profonde, irradiante. L’essentiel, ce qui me passionne et m’attire le plus, ce qui rend mon coeur tout brûlant parfois, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs, c’est que Jésus-Christ ne nous choisit pas pour notre grandeur, mais parce que nous sommes des êtres de misère, limités, paresseux, pécheurs… des pauvres types ! Si nous pouvions seulement comprendre à quel point nous sommes tant aimés, inconditionnellement, et que nos âmes peuvent devenir les lieux où se déploie l’infini de son projet d’amour qui sauve ! A cause de cela, on ne peut dire de personne qu’il soit insignifiant, puisqu’il est appelé à voir Dieu sans fin ! “Mystère d’Incarnation à découvrir dans la chair de nos humbles quotidiens. Dans l’épaisseur du temps et l’alternance des saisons, des semailles et du lent travail de germination, au secret de l’humus de nos vies” (Anne Josnin).
 
Prière du pauvre, de celui qui doute : mon Dieu, si vous existez, ayez pitié de moi qui suis aveugle, et montrez-moi un peu votre visage : j’en ai tant soif  ! “Nous ne pouvons rencontrer Dieu, à moins de savoir ce qu’est le silence, car Dieu parle dans le silence du cœur. Et là, donnons-nous vraiment la peine d’examiner notre conscience : il s’agit simplement d’élever nos cœurs vers Dieu, et de laisser sa lumière nous illuminer” (Mère Térésa). On a trop élevé et moralisé l’entrée en vie de foi : la “première marche” dont parlait Thérèse de Lisieux est celle qu’il faut gravir sans crainte : laissons-nous approcher de Dieu, n’ayons pas peur ! Lui fera le reste en nous guidant…
 
“Venez à moi, vous qui peinez sous le poids du fardeau ; et moi, je vous procurerai le repos. Car je suis doux et humble de coeur” (Jésus).
 
Bonne entrée en automne,
temps propice pour mourir un peu à soi-même…
pour mieux renaître plus tard…
 
M.V.


L’enfant précoce, cet inconnu

Voici une page consacrée à ceux qu’on appelait encore il n’y a pas si longtemps « surdoués », puis « précoces » – appellation désormais remplacée par « à haut potentiel », ou « en décalage ». Si tu en connais autour de toi, si toi-même, peut-être, tu l’as été, tu vas les reconnaître, ou te reconnaître. Car l’adulte conserve la plupart des traits de l’enfant.

«Ce sont des enfants dont l’intelligence n’est pas seulement différente en termes de QI, mais aussi en termes d’organisation et d’émotions» (Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne, auteur de L’Enfant surdoué. L’aider à grandir, l’aider à réussir, Ed. Odile Jacob). Les «enfants à haut potentiel» – sont comme dotés d’office d’un ordinateur de dernière génération et du haut débit, là où les autres disposent de connexions plus classiques et d’un matériel plus modeste. «Ils ont une architecture cérébrale différente, mais c’est surtout le fonctionnement qui est original, en raison de l’hyperconnectivité des réseaux neuronaux, ajoute la psychologue. La pensée est plus créatrice, plus complexe, plus intriquée avec l’affectif, mais elle est aussi plus difficile à organiser, à structurer».

Les parents ne s’en rendent pas toujours compte tout de suite et le diagnostic peut même tomber lorsqu’un enfant (surdoué méconnu) est en échec scolaire, ce qui arrive tout de même à un sur trois. «Le cliché auquel on se heurte le plus souvent, tant dans l’Éducation nationale que du côté des professionnels de santé, c’est de penser qu’un enfant à haut potentiel est forcément en réussite scolaire», insiste le Dr Sylvie Tordjman.

Entre intelligence et émotion

La moyenne statistique de l’intelligence mesurée par le quotient intellectuel (QI) est de 100. Un surdoué possède par définition un QI d’au moins 130. On estime que c’est le cas de 2,2 % de la population, mais les spécialistes préfèrent désormais parler de différents types d’intelligence : langagière, logico-mathématique, spatiale, musicale, somato-kinesthésique, inter-individuelle, introspective. Et chaque enfant présente à la fois des zones de compétence et des zones de fragilité. Impossible de réduire l’enfant à un chiffre !

« L’enfant surdoué pense dans un système différent. Sa forme particulière d’intelligence le pousse à aller jusqu’au bout des choses. Comme il comprend vite, il va donc avoir rapidement un avis, une pertinence de raisonnement, un sens critique très développé. Ce n’est pas une volonté de tenir tête ou d’avoir le dernier mot, mais la quête de sens constitue l’essence de sa pensée. Recherche sur les origines de la vie, de sa vie, de sa famille, de l’univers, goût pour la préhistoire, l’histoire, la métaphysique. Il faut qu’il ait raison et qu’il comprenne, que ce soit vrai. Mais cela peut gêner, voire agacer l’entourage !

Il a besoin de nourrir en permanence son intelligence et sa mémoire, et a souvent du mal à reconnaître s’être trompé lorsque cela arrive, d’autant qu’il court souvent après une inaccessible perfection. Lui qui a besoin de tout maîtriser, voit tout à coup les limites de son intelligence.

Son intuition est toujours active, et ses résultats parfois étonnants, car il perçoit souvent les prémices des événements. De même son émotivité et sa créativité le poussent à une pensée divergente, et à des digressions, ou des distractions de pensées qui l’empêchent souvent de focaliser son attention, par exemple en classe. Il vit beaucoup dans l’imaginaire, l’abstrait.

Une sensibilité aiguë

A côté de leurs aptitudes intellectuelles supérieures à la moyenne, il est une autre particularité de ces enfants souvent ignorée : leur hypersensibilité et leur réactivité émotionnelle. «Ce sont des enfants chez qui une broutille peut déclencher un cataclysme émotionnel. Ils ont souvent du mal à se comprendre, sont capables de très grandes colères, car ils ont des désirs énormes, et quand la réalité ne correspond pas, ils se bloquent, s’effondrent, ou passent à la colère, plus que d’autres enfants de leur âge. Mieux que les autres ils comprennent l’intensité de leur souffrance ou de leur bonheur, et ils souffrent vivement du manque d’affection.

L’enfant précoce souffre particulièrement de ses échecs, dont il a peur plus que les autres enfants. Il expérimente une dyssynchronie entre les possibilités de son intelligence et son pouvoir pratique sur les choses qu’il ne maîtrise pas toujours. Cela lui confère une personnalité très contrastée qui empêche son entourage d’en avoir une image objective. »

Ainsi, il se sent souvent en décalage, comme « isolé des autres » et cela use en lui son capital confiance. Ajouté à sa soif de perfection, son émotivité le fragilise. Pour s’intégrer à un groupe, il sera tenté de se construire un personnage. Cette façon d’étouffer sa personnalité peut le conduire plus tard à déprimer.

Il capte aussi la moindre variation du monde qui l’entoure et a une empathie qui peut même être envahissante», souligne Jeanne Siaud-Facchin. D’autant qu’il est aussi très sensible à l’injustice, d’une curiosité insatiable, aime faire plusieurs choses à la fois, a une mémoire exceptionnelle, déborde d’énergie et, souvent, n’a pas besoin de beaucoup de sommeil. De quoi agacer, en effet. «Cet enfant questionne toutes les règles», remarque aussi le Dr Tordjman. Autant par soif de comprendre que pour le plaisir intellectuel de l’échange. Si ses parents savent le comprendre et l’accompagner, il saura cependant tirer profit de ce parcours chaotique. Sinon, il regrettera plus tard de ne pas avoir trouvé d’adultes pour le comprendre et le guider.

Chance ou handicap ?

Notre vie n’est jamais écrite dans nos dons et nos prédispositions. Mais celui qui a reçu beaucoup peut et doit donner beaucoup. Encore faut-il du temps pour apprendre à se connaître, à s’accepter, et de l’amour pour trouver sa vraie place auprès des autres et dans ce monde. Et puis, l’Esprit vient à notre aide très souvent dans notre vie. Toute chance d’une main tendue est à saisir. Si l’intelligence nous conduit plus loin, dans des chemins de contemplation fantastiques, demandons au Seigneur de nous aider à les partager avec nos frères, avec notre sensibilité, sans orgueil, par pure gratuité, joyeux de mettre nos talents et notre “âme d’aventure” au service de ce monde en orbite de vie éternelle !

 


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