Dieu nous donne chaque jour la beauté de la création à contempler, cette beauté dont on a tant besoin pour vivre ! Quand on accepte de recevoir le monde comme un merveilleux cadeau, on redevient naturellement comme un tout petit enfant. J’aime ce mot de Christian Bobin : “l’esprit d’enfance est toujours neuf, n’entasse rien ; il repart toujours au début du monde, aux premiers pas de l’amour. Il voit à la mesure de son espérance”. Cet esprit d’enfance, c’est le cœur de l’Évangile !

Quand bien même « nous serions devenus de pauvres adultes au regard dur, incapables de nous émerveiller, ce serait le moment de nous reprendre et de comprendre enfin que Dieu seul peut embellir notre vie et plus encore la réchauffer, si elle avait pris froid à force de vivre dans un monde sans horizon d’éternité. » (MMZS). Alors… Quelque chose de beau et de bon pourrait advenir chaque jour dans le monde ! Quelque chose qui ravirait les esprits, qui embraserait les cœurs, qui laisserait entrevoir à tous la saveur, la douceur, la présence à la fois très humble et si puissante, si réconfortante de Celui qui donne tout en surabondance, dans la mesure où l’on cesse de vouloir être le créateur de soi, pour puiser à la Source intarissable, gratuite et qui rend libre…

Telle est ma lecture de l’Évangile, qui n’est pas un message d’amour comme tant d’autres. Je peux le recevoir comme le bon chemin de vie tracé par le Cœur de Dieu qui a visité son peuple. Jésus vient nous communiquer la joie d’exister, au point qu’on ne peut plus rien comprendre à la vie et à l’amour en dehors de Lui. Simplement parce qu’il nous fait entrer dans la voie du don, qu’il a vécue pleinement, et qu’il nous invite à l’expérimenter : « Venez et voyez ! ». Voilà « la philosophie du Christ qui ne nous demande pas de Le croire sur parole, mais d’oser essayer », nous dit Denis Marquet.

Mais je vois bien que la plupart de nos contemporains ne savent pas ou ne voient pas en quoi l’Évangile pourrait les concerner et changer leur rapport à la vie, tel cet ami qui m’a dit un jour « c’est beau de croire, mais comment faire confiance aujourd’hui ? ». Il est vrai que trop peu témoignent de sa beauté et de sa lumière, encore moins sur les ondes… Comment sera-t-il correctement entendu dans le brouhaha médiatique et l’agression quasi-permanente d’une société techno-marchande qui constitue certainement aujourd’hui le plus grand danger pour l’humanité ?

Peut-être aussi que beaucoup espèrent tout simplement que celles et ceux qui se réclament de cet Évangile expriment par des actes bons, des paroles audibles et une attitude fidèle, en quoi cette bonne nouvelle fait corps avec « la belle parole de la vie » qui parle déjà en eux. J’ai en mémoire cet extrait de Georges Bernanos dans « Les grands cimetières sous la lune » : « pour nous qui n’attendons de vous que le partage d’un don que vous proclamez ineffable, il n’importe pas de savoir si Dieu s’est remis entre vos mains, mais ce que vous en faites… ».

Je crois qu’il faut faire parler encore plus l’Évangile comme force de libération ! Par plus de partage, d’encouragement, de soutien et de consolation : autant de gestes à apprendre de Jésus pour rendre concrète sa présence auprès de ceux qui n’ont pas/plus grand chose ou qui désespèrent dans ce monde déboussolé. « Je t’ai donné un cœur pour aimer : qu’en as-tu fait ? » nous dira un jour le Seigneur de la vie.

Ce n’est pas la technique qui sauve l’homme, encore moins l’argent. Tout au plus peuvent-ils soulager momentanément ses misères, mais jamais, jamais, ils ne combleront le cœur d’un être fait pour contempler l’infini de Dieu ! Un être créé par amour, pour aimer, et qui ne choisit pas toujours le meilleur chemin, cherchant le plus souvent dans le fini l’infini qui lui manque. Tous les maux de l’humanité sont bien le fruit de la démesure de l’homme, de sa soif toujours insatisfaite d’avoir encore et encore plus pour combler ce vide existentiel. On peut comprendre qu’à force, c’est terriblement épuisant pour l’homme, mais cela a pris des proportions telles que désormais, les conséquences de nos modes de vie désordonnés provoquent des ravages planétaires, impactant durablement les conditions d’existence et la santé de toute créature. L’exemple de ces dizaines de millions d’hectares de terre qui ont brûlé en 2019 devrait nous inviter à faire au plus vite « grâce » à la Terre et à vivre plus simplement et en réelle fraternité.

Ce monde qui se construit autour de nous n’est pas l’œuvre de Dieu, qui a créé toutes choses bonnes ! « Ce monde actuel dans lequel nous vivons, ne nous offre qu’un bonheur fait d’argent, de bien-être, de prétendu plaisir, de confort, mais tout ça, même si on le possède, ça ne va pas très loin, ça ne comble pas ! » (MMZS). Comment ne pas ressentir ce manque criant de « sens » dans cette construction qui enferme et génère de toute part de l’anxiété et finalement de la colère ? Oui, il y a une violence faite aux hommes et aux institutions quand un système bien installé pour satisfaire une minorité cynique et arrogante a pour conséquence de limiter les droits les plus fondamentaux d’un nombre immense, combattant de manière dissimulée mais sans scrupules l’idée même de justice sociale, principe et finalité de la vie en commun.

Si la pauvreté perdure et s’aggrave dans tous les pays, sans exception, c’est pour deux raisons qui s’auto-entretiennent : l’égoïsme quasi instinctif favorisé par un système basé sur la concurrence et le profit immédiat, et le maintien de structures opposées à la juste répartition des biens pour tous. La richesse globale du monde a terriblement augmenté sans que le sort des plus pauvres en soit sensiblement amélioré. Jusqu’où cette folie ira-t-elle ? Jusqu’où accepterons-nous cela sans nous révolter profondément ?

S’attaquer aux puissances aliénantes du monde, et aux intérêts démesurés de ceux qui règlent la production, la circulation et la distribution des biens au détriment de toutes justice et fraternité, est normalement le rôle dévolu aux pouvoirs politiques à l’œuvre dans chaque pays. Sauf que, depuis les années 90, ils ont progressivement capitulé et se sont asservis à la machine ultralibérale et aux milieux de l’hyper-finance, détruisant jour après jour la confiance des humbles gens…

Alors comment imaginer une riposte efficace ? Signer des dizaines de bonnes pétitions chaque année, avec de temps en temps, quelques beaux résultats… bien sûr ! Mais globalement, la marche du monde semble échapper de plus en plus à tout contrôle démocratique, comme l’avait prédit Tocqueville en son temps. La question cruciale est désormais celle de la résilience de la vie humaine dans un monde pollué, climatiquement déréglé, et mal défendu par ses élites gouvernantes… Alors, que faire… ?

Je crois que le Seigneur nous a donné un cœur, mais aussi une intelligence pour comprendre, et la volonté pour délier les situations d’injustice et de détresse. A la base, chacun possède un pouvoir immense et tout simple : celui de refuser de donner au puissant ce qu’il attend ! Par exemple : boycotter ! Je peux devenir libre de faire autrement que de répondre servilement aux injonctions et aux incitations continuelles de la marchandisation planétaire organisée et à mes pulsions hyper-stimulées par la publicité.

Après cela – et c’est déjà bien quand on essaie ! –, oser s’engager… Par exemple en faveur des circuits alimentaires éthiques et écologiques pour défendre l’agriculture paysanne – en commençant par celle de notre pays qui souffre tant –  ou en donnant leur chance aux petits placements solidaires (il y en a plein qui aident l’emploi, le logement, sans passer par les banques classiques), etc… Ou encore, pour ceux qui en ont le temps et la possibilité : s’investir sur le terrain politique, toujours pour faire progresser le bien commun, et impulser peu à peu le renouveau dont nos nations ont besoin pour se relever…

Mais avant toute chose, pour devenir ce que nous sommes vraiment, il suffit seulement d’oser recevoir sa vie, de prier avec confiance, de ne pas faire obstacle à Dieu en se posant sans cesse en position d’origine. Accepter de dépendre, tout en devenant plus libre ! C’est déjà la joie du Ciel, et cela devrait se lire sur des multitudes de visages…

Car Dieu fait une promesse merveilleuse à ceux qui le reçoivent et lui répondent. L’éternité en Dieu sera le bonheur inouï d’un commencement sans fin, toujours renouvelé : quelque chose d’inconcevablement exaltant, dont nous ne pouvons ici-bas qu’avoir un léger pressentiment. A travers nos limites humaines, la foi chrétienne ouvre des fenêtres sur l’infini annoncé, comme se plaisait à l’imaginer Hans Urs von Baltasar : “pour celui qui reçoit la possibilité d’entrer dans cette vie de Dieu, tout se passe comme si s’ouvraient pour lui, lui coupant le souffle, des espaces à perte de vue. Des espaces dans lesquels on peut se précipiter dans la liberté la plus parfaite. Et ces espaces sont eux-mêmes des libertés qui attirent notre amour, l’accueillent, lui répondent…”.

Devant une telle perspective, invoquons l’Esprit Saint, sans cesse à l’œuvre le monde malgré ses fautes et ses drames, car rien n’épuise l’infinie Miséricorde divine. Nous, chrétiens, sommes les témoins d’une espérance qui nous dépasse sans cesse ! Le Seigneur nous précède toujours et nous envoie, chacun à sa mesure, porter à travers nous son regard de tendresse et de bonté, en commençant par ceux qui en ont le plus besoin. C’est l’amour seul qui relève et qui sauve…

Notre espérance est qu’il y a toujours de la place pour Dieu dans le cœur de l’homme, comme il y a de la place pour tous les hommes dans le cœur de Dieu ! La vraie joie, c’est Dieu qui la donne. Tout vient de Lui, tout est à recevoir, tout est à donner…

Bonne Année 2020,

MV